Dépressions, zone barocline, front polaire…

Au début du 20e siècle, des
météorologistes norvégiens ont proposé une vision nouvelle et cohérente de
l’évolution de l’atmosphère aux latitudes tempérées. Cette vision reposait sur
un concept: le front polaire.
Le front polaire est une limite extrême, une sorte de surface
séparant l’air polaire d’un côté et l’air tropical de l’autre. Selon ses
créateurs, cette limite pré-existe et se maintient en permanence, faisant plus
ou moins le tour de la Terre. Instable, le front polaire ondule: une dépression
naît et s’amplifie, suivie d’une autre. Après quelques tempêtes du même type,
une période plus calme s’installe puis le cycle reprend: les Norvégiens ont
ainsi introduit la notion de famille de dépression, ancêtre de la vision
actuelle de configuration zonale du rail.

Cette idée formidable était ce qu’on pouvait
faire de mieux à partir des observations disponibles à l’époque. Comme toute
idée en physique, la notion de front polaire est appelée à être remplacée par
une autre, plus proche des données obtenues depuis, plus juste sur le plan
théorique, mais quand même inspirée par les idées initiales.

Les limites
du concept de front polaire sont bien connues. En voici quelques-unes:

  • un fait d’expérience simple
    tout d’abord: on n’observe tout simplement pas de limite aussi extrême très
    étendue et quasi-permanente; les limites intenses existent mais sont limitées
    dans l’espace et le temps;

  • le front polaire explique la présence de ces limites, de
    ces fronts donc, au sein des dépressions d’une manière simple: les fronts
    étaient là avant la dépression. Reste alors à expliquer l’origine et le maintien
    du front polaire lui-même: selon les norvégiens, c’est la circulation générale,
    les «centres d’actions» révélés par les cartes moyennes, qui le crée. Il est
    facile, aujourd’hui, d’extraire la composante «lente» de l’évolution
    atmosphérique et de calculer sa capacité à faire un front de grande étendue: on
    constate que, sur l’essentiel de l’Atlantique, cette circulation «défait» les
    contrastes, c’est à dire le contraire de ce qu’il faut pour vérifier l’idée
    norvégienne;

  • autre fait, des dépressions se forment sans qu’il existe
    au préalable, de front;

  • le passage d’un concept descriptif à une théorie
    physique, c’est à dire la vérification par le calcul que l’instabilité du front
    polaire donne des dépressions telles qu’on les connaît, n’a pas été possible (il
    n’y a pas de
    théorie du front polaire);

  • le front polaire rend plutôt bien compte des périodes de
    configuration ouest-est du moderne rail des dépressions.
    Mais il peine à rendre compte de la configuration
    bloquée et échoue avec l’irrégularité des durées et des transitions d’une
    configuration à l’autre.

Il reste qu’on
observe des fronts.
Les fronts
résultent de la formation des dépressions et sont des structures très
transitoires, rarement très étendues (au sens d’une définition stricte, bien
sûr). Le mécanisme de formation de ces fronts, subtil, a été identifié vers
1970.

La suite de cette page est un peu plus technique.

Après le
front polaire est venue la notion de «zone barocline» : plutôt que ce terme de
jargon, on a choisi ici de parler de courant-jet.
Une zone barocline est une
zone de variation thermique continue et modérée nécessairement associée à un
courant-jet en altitude. Cette notion de zone barocline demeure un pilier de
notre compréhension des dépressions.

L’association zone
barocline/courant-jet/dépressions fonctionne très bien pour décrire un cas
unique de dépression, par exemple. Toutefois, dès qu’on passe
à une échelle de temps couvrant plusieurs cas, il est utile de distinguer le
courant-jet moyen (ou zone barocline principale) et la trajectoire d’un ensemble
de dépressions, qui coupe le courant-jet de diverses manières. Ainsi naît la
notion de rail, qui généralise celle de zone barocline à de plus grandes
échelles de temps (une à plusieurs semaines).

On pourrait dire que la
notion de zone barocline est utile pour décrire une dépression comme un effet de
la présence du courant-jet, un seul sens de l’interaction (approche utilisée
dans ces pages, d’ailleurs). La notion de rail s’efforce de prendre en compte
l’ensemble de l’interaction, donc l’effet des dépressions sur la zone
barocline.

L’idée de rail des dépressions est fondée sur la notion de
variabilité atmosphérique et couvre avec un seul concept tous les types de temps
possibles en Europe. Elle doit pour cela être préférée à celles basées sur des
idées statiques et incompatibles entre elles du type anticyclone des Açores ou
front polaire.